« Est-ce qu’il t’arrive d’avoir l’impression que tout se
répète chaque jour, que tu as déjà fait la même chose mainte et mainte
fois ? »
L’impression et la peur de la monotonie reviennent souvent
dans les propos des personnes, clamant: « je déteste la monotonie et la routine, et je fais
tout pour la combattre !».
Or, ces mêmes personnes inquiètes de la vie qui se répète, en
quête de mieux, de plus, d’ailleurs, ont souvent des difficultés à apprécier
l’instant présent. Elles dépensent une énergie phénoménale à vouloir défier les minutes, combattre le temps qui passe, inéluctable.
Comment trouver le juste équilibre entre vivre ici et maintenant, tout en rêvant sans
cesse autre chose ?
J’avais une voisine, maman d’un enfant à la même maternelle que le mien, qui vibrait à la seule perspective de "sa" sortie mensuelle. Chaque mois, le même rituel ancré dans sa routine: faire garder les enfants pour une soirée en tête à tête avec son mari, pour se payer toujours le même restaurant sur les Champs Elysées, puis visiter en long et en large le Virgin Megastore. Personnellement, je n’arrivais pas à comprendre ce qu’il y avait de génial à ça. Et j’ai longtemps envié ma copine d’être capable de se satisfaire de cette répétition simplissime, qui comblait les heures creuses de sa monotonie quotidienne, alors que je rêvais d’aventure et de sauts en parachute.
Dans le Larousse :
Monotonie: Manque
lassant de variété, de diversité
Routine quotidienne: Habitude mécanique,
irréfléchie, et qui résulte d'une succession d'actions répétées sans cesse.
Ensemble de ces actions, de ces gestes faits mécaniquement qui crée un état
d'apathie, une absence d'innovation.
Aussi répétitifs qu’ils paraissent, nos besoins vitaux et le
temps qui passe régentent notre rythme journalier comme autant de repères rassurants. C’est à partir de ce « fondamental » que nous pouvons
imaginer la variété, la diversité, la créativité.
Les plus grands musiciens maîtrisent le solfège et les
gammes, de longues heures de répétition inlassables, pour se permettre de
broder, de composer, de divaguer dans leur style, apposant aux bases classiques
leur touche d’originalité, d’innovation, de fantaisie.
Le pianiste contemporain, Michel Petrucciani, chantait les
classiques de jazz à l’âge de 3 ans, jouait du piano à 4 ans grâce à son père
musicien et son professeur de piano. C’est à partir de ces apprentissages de
base, rabâchés sans relâche, qu’il a pu laisser son oreille dicter ses
compositions, et ses mains glisser sur le clavier d'un free jazz novateur de longues
années durant.
« Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage, Vingt
fois sur le métier remettez votre ouvrage ». Cette citation du poète,
écrivain et critique français Nicolas Boileau signifie que c’est dans les
actions qu’on aura répétées inlassablement qu’on pourra
briller et exceller.
En peinture, Picasso ou Mondrian, avant de se lancer dans
l’abstrait, ont exercé leur talent à travers le figuratif, pour acquérir la
maîtrise des techniques de nuances, de tonalités, de lumière, de perspective…c’est
à partir de ces bases essentielles que chacun d’eux a développé sa valeur
ajoutée, sa différence.
Le Dalaï-Lama lui-même reconnait que ces rituels quotidiens, comme l'autodiscipline l'obligeant à se lever chaque jour à 4 heure du matin pour sa méditation, lui permettent de garder cet inaltérable sourire serein et diplomatique qui le caractérise.
Alors, je propose de remplacer « monotonie » ou
« routine » par « essentiel ».
Si l’on considère le quotidien, nos gestes, nos tâches, notre rythme: tout est
lié à l’alternance des saisons, des jours et des nuits, de notre inspire et notre expire, de nos besoins de dormir, de manger…
Accueillir le temps qui passe, les gestes simples du
quotidien, comme autant de cadeaux que certains, déracinés et perdus, n’ont
pas.
Je me réveille le matin ; merci pour cette nouvelle
journée qui m’est offerte de découvrir.
Dans nos contrées, le temps est variable; surprise chaque jour au réveil pour des matins nullement pareils. Malgré les apparences, les jours se suivent et ne se ressemblent pas.
Dans nos contrées, le temps est variable; surprise chaque jour au réveil pour des matins nullement pareils. Malgré les apparences, les jours se suivent et ne se ressemblent pas.
Je me brosse les dents ; quelle chance d’en avoir
encore ! Je vais pouvoir sourire bouche ouverte de joie, prêt à croquer la
vie à pleines dents.
Je fais la vaisselle, ou la lessive; une belle occasion de me
retrouver, sans me prendre la tête. La belle perspective du propre et du
renouveau.
Tout pareil lorsque je patiente dans la rame du métro qui traîne, ou lorsque j’attends à la seule caisse du supermarché qui n’avance
pas ! Un moment de rêve et d’évasion, simple comme l’air que je respire. Du temps pour moi, rien que pour moi !
S’ancrer dans le quotidien, comme dans une seconde peau,
apprécier les sensations familières, explorer chaque jour le banal d’un œil
nouveau, écouter et ressentir les nuances, aussi ténues soient-elles, car le monde
est en mouvement constant, malgré notre impression d’immobilisme.
Saint-Augustin proposait dans ses Confessions : "Il y a trois temps: un présent au sujet du passé, un présent au sujet du présent, un présent au sujet de l’avenir".
Apprécier le quotidien permet au présent d'exister.
Accueillons la simplicité quotidienne comme une musique ou toile de fond, pour
s’octroyer le droit de rêver, de créer, d’innover pour devenir soi-même,
entièrement et complètement.